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Le rônin et le jeune paysan

 Dans un petit village, au sud du  pays fondé par les dieux du Haut Ciel, vivait un jeune garçon prénommé Kitshiemon. Sous le règne des Tokugawa son destin se montrait sans détour: il cultiverait la terre en priant pour qu'elle le nourrisse et lui laisse de quoi s'acquitter de l'impôt. Le peu de temps que lui laissait pour lui-même cette existence passée dans la crainte du manque, Kitshiemon le consacrait à ses rêveries d'enfant où il se voyait vêtu des habits du fier et terrible bushi. Alors, paré de l'armure étincelante, du masque au sourire grimaçant et du daisho, il chevauchait sur son destrier fantastique vers une bataille où l'attendait gloire et honneur.

 Par une fin de matinée printanière, l'un de ces porteurs de sabres se présenta à l'entrée du village. Le héraut du Destin arrivait à pieds et ressemblait plus à un rônin qu'à un bushi. Un vagabond! Pourtant Kitshiemon ne résista pas à la curiosité de l'enfance lorsque le nouvel arrivant passa près de lui.

_ Bonjour!

 L'inconnu poursuivit son chemin. Peut-être n'avait-il pas entendu? En deux pas le jeune garçon l'eut rejoint.

_ Dites, vous avez de beaux sabres! Ils sont dans votre famille depuis longtemps?

_ Oui.

 Encouragé par la réponse, le jeune Kitshiemon poursuivit.

_ Vous n'avez pas de cheval?

_ N'es-tu jamais fatigué de poser tant de questions?

_ Non.  Pourquoi n'avez-vous pas de cheval?

_ Je suis en chemin depuis bien avant l'aube et n'ai mangé que quelques fruits.

_ Vous avez faim?

_ Un samouraï n'a jamais faim!  Pour l'instant dis-moi ton nom et évite certaines paroles si tu tiens à ta langue!

_ Kitshiemon!

_ Dis-moi jeune Kitshiemon connais-tu quelqu'un qui accepterait de partager un peu de gruau avec un voyageur? Peut-être ta famille?

_ C'est que... Nous sommes bien pauvres.

_ Tout comme moi. Je peux couper du bois ou sculpter un Bouddha pour dédommager ta famille de sa peine.

_ Il faudrait demander à mon père.

_ Bien! Faisons cela! Conduis-moi jusqu'à lui.

_ Dites, vous vous appelez comment?

_ Masahiro Ohoshi.

 

 

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  Pour aller plus loin dans la lecture du conte:

- Tokugawa Ieyasu (1543-1616). Au soir du 11 octobre 1600, il sort vainqueur de la bataille de Sekigahara où s'affrontèrent les fidèles de l'ancien shôgun Toyotomi Hideyoshi (mort en 1598) et les partisans du futur maître du Japon. En 1603 l'empeureur fait Tokugawa shôgun. La Maison des Tokugawa règnera sur le Japon jusqu'en 1867. L'année 1868 vit la restauration du pouvoir impérial et le début de l'ère Meiji, du nom de l'empereur. 

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- Bushi. En occident le mot a fait carrière à l'ombre d'un autre mot: Bushidô.  L'on traduit par "la voie des samouraïs" ou encore "le code d'honneur du samouraï". A suivre cette traduction il semble bien que les mots bushi et samouraï soient synonymes. Bushi est formé de Bu, le combat, et de Shi, le chevalier. Bushi dit: le combattant à cheval ou le chevalier guerrier ou encore le guerrier à cheval. Ces traductions semblent bien correspondre à l'image populaire du samouraï. Cependant, samouraï ne dit pas primitivement ce célèbre guerrier à cheval. Samouraï dit seulement "celui qui sert". Le samouraï est un serviteur. Serviteur tel est le mot où se rencontrent le bushi et le samouraï. Le guerrier à cheval est au service d'un seigneur. Tout bushi est donc un samouraï. Mais tout samouraï n'est pas un bushi!  Le mot bushi possède un certain éclat, une valeur socio-culturelle dirions-nous aujourd'hui, que ne possède pas le mot samouraï. Le bushi est un guerrier lettré. C'est pour lui que fut écrit le Bushidô.

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- Daisho. Contraction du mot daitô , grand sabre, et de shotô, petit sabre. Les deux sabres formant le daisho sont de montures identiques et leur port est le privilège de la classe des guerriers et seigneurs.

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- Rônin. Littéralement homme flottant, homme de la vague, homme sur la vague. A partir du XIV siècle le terme désigna un militaire privé de seigneur et donc d'emploi. Au Japon, de nos jour, un travailleur privé d'emploi est appelé un travailleur flottant.

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Pascal Le Bris, mai 2006.

 

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