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Le coupeur de blé

 

  Par une fin de matinée d'un hiver touchant à sa fin, Kitshiemon exerçait son habileté au maniement du sabre. Son idée était la suivante: plus il utiliserait son sabre et plus il excellerait en sa technique! Bien sûr il savait à présent qu'être un bon sabreur ne suffirait pas à faire de lui un homme du sabre, uniquement un homme d'armes. Cependant, il jugeait qu'être habile au sabre n'était pas inutile. Peut-être même cela était-il un bon début? Et puis quel plaisir de sortir le sabre et de couper! 

_ Holà! Jeune samouraï!

 Kitshiemon reconnu immédiatement la voix de son compagnon et se tourna vers lui.

_ Ohoshi! Je ne t'ai pas entendu arriver! Tu vois, je m'entraîne à la coupe! Tu viens couper, toi aussi? C'est un bon endroit. Vois tout ce que j'ai coupé!

_ Oui, tu coupes beaucoup...

_ C'est qu'il me faut beaucoup m'entraîner!

_ Je ne suis pas un homme de la terre mais il me semble que l'usage d'une faux serait plus indiqué pour couper le blé...

_  Ohoshi? que dis-tu?? Ce ne sont pas là des blés mais des bambou!

_ Des bambou?

_ Oui!

_ J'ai mal vu. A te voir ainsi abattre ton sabre, il me semblait que tu fauchais les blés. Peux-tu me dire ce que tu fais ici ?

_ Je coupe des bambous! Ohoshi, tu le vois bien!! Oh?!... oui!! Je comprends! Couper pour couper n'est en rien aller sur un chemin en compagnie du sabre.

_ Voilà une parole inhabituelle.

_ J'ai beaucoup appris avec le maître et toi.

_ Peut-être est-il temps pour toi de te faire engager chez un seigneur?

_ Oh, non! Il est bien trop tôt. Je ne suis qu'un apprenti samouraï.

_ Je ne t'invitais pas à te présenter pour un poste de samouraï mais pour un emploi de coupeur de blé ou de bûcheron. 

_ Arrête de te moquer de moi. Ce n'est pas gentil!

_ As-tu entendu le chant du sabre?

_ Heu... Non. Quel chant? 

_ Qui chemine sur le chemin que garde le sabre doit savoir qu'il lui faut être attentif au chant du sabre. 

_ ??... Heu... Je ne dois pas couper?

_ Il est nécessaire de beaucoup couper.

_ Ohoshi!! C'est ce que je fait!

_ Couper des bambous n'est pas le plus nécessaire. Pourtant... Il est nécessaire de couper des bambous.

_ ??...

 

 

Pour aller plus loin dans la lecture du conte. 

Le chemin que garde le sabre. Le chemin du sabre, la voie du sabre. Kendô. Une autre parole dit aussi le chemin du sabre. Iaïdô. L'art de dégainer le sabre est la traduction admise.  En japonais dégainer se dit battô, sabre se dit ken ou tô et art, entendu dans cet horizon technique, peut être traduit par jutsu. Où est donc iaïdô?? Est-ce à dire que les maîtres japonais n'entendent rien à leur langue ou est-ce nous qui sommes trop pressés de traduire et nous en tenir ainsi à bon compte?  

Dô. La voie, le chemin. Traductions bien muettes si nous oublions que dans cette parole il y va d'un cheminement, d'un itinéraire et de quelque chose comme le Destin où se tient la Liberté et non la fatalité. Le Destin du mortel est errance, à entendre dans l'horizon de itinerare et adventura. 

Aï. Communément traduit par union, harmonie, entente, amour (au sens amical du terme). Cet amour-amical est celui où se tiennent les amis. Là, ils s'entendent et parlent d'une même voix harmonieuse. Cependant, l'harmonie ce n'est pas "tous pareils", cela c'est l'uniformité. L'uniformité implique un oubli du Propre. L'harmonie appelle le Propre. L'harmonie laisse chacun proprement lui-même. Aï: union harmonieuse des différences dans l'intégrité de chacun. 

I. Traditionnellement traduit par être, exister, être établi, rester, vivre avec, demeurer. Dans l'idéogramme japonais est figuré l'Homme. Nous disons: le mortel est le vivant qui existe. Martin Heidegger entendait dans exister une ancienne parole fondamentale. Il entendait: ek-sister. Ek- est un préfixe grec et signifie "hors de". Ek-sister c'est avoir la possibilité insigne de se tenir hors de. Seul le mortel est le vivant hors de. Aucun autre vivant n'a cette possibilité. Le mortel, parce que mortel, est le seul vivant existant sur le mode du projet.

Iaïdô: trois paroles en lesquelles se dit l'Aventure Humaine. 

 

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 Pascal Le Bris, août 2006.

  

 

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