"Le dieu n'est pas, à l'origine et foncièrement, "père des hommes".

C'est un maître qui rencontre l'humain dans son empire et s'en

accommode tant bien que mal. (...) Tous s'inclinent également

devant le Destin." Cette citation, extraite de l'ouvrage de Pierre Grimal

La mythologie grecque,  pourrait définir Superman et montre bien qu'il

n'est pas un nouveau Moïse mais le premier dieu des Temps industriels.  

 

 

 _ Qu'est-ce qu'un super-héros pour toi?

 _ Un super-héros c'est d'abord un costume, une apparence, une reconnaissance sociale. Imaginons que toi ou moi soyons des super-héros... Si nous allons faire notre "boulot de super-héros" dans un costume de tous les jours, ça ne fonctionne pas. Un super-héros doit être identifiable tout de suite, il faut que l'on puisse se dire: "Ah! Ouais! Lui, c'est un super-héros!" ou "Lui, c'est le méchant." Et donc c'est... heu... la dissemblance par rapport aux autres personnes de la société qui signe le super-héros. Le costume marque la différence. Mais là il faut savoir, sur cette histoire de costume, que je suis en désaccord avec pas mal de monde pour qui le super-héros est avant tout identifié par ses super-pouvoirs. Mais non! Les super-pouvoirs cela vient en second. Prends Batman, par exemple, tu lui retires son costume, il reste un type plus ou moins ordinaire. Certes à l'esprit plutôt habile et rusé et doué d'une force physique importante mais... il reste un type comme tu en croises tous les jours dans la rue sans lui prêter plus d'attention que ça.. Par contre, tu lui mets ses oreilles pointues, sa cape, et là... "badaboum"! Super-héros! Même Hulk a un costume. C'est quoi le costume de Hulk? Un pantalon déchiré et c'est globalement le même depuis... les années 60! Et ainsi de suite. Pour le super-héros, c'est le costume qui fait la fonction.

 _ Aujourd'hui Batman c'est toujours ton super-héros préféré?

 _ Disons que c'est... c'est lui le plus intéressant.

 _ Et pourquoi?

 _ Oulala... Ce que j'aime chez Batman c'est que c'est un super-héros qui n'en est pas un. Et puis c'est aussi tout le passé qu'il trimballe, la possibilité de travailler sur sa psychologie, ce genre de choses... Chez Batman ce qui est intéressant ce sont tous les personnages secondaires, notamment tout ceux que l'on appelle les super-vilains: le Joker etc. Ce sont des personnages qui sont complètement indissociables du succès d'un super-héros.

 _ Est-ce que Batman est la définition du super-héros pour toi?

 _ Curieusement non. L'archétype du super-héros c'est Superman. Tous les super-héros descendent d'une manière ou d'une autre de Superman. Superman c'est tous les super-héros réunis! C'est un dieu sur Terre.

_ Qu'est-ce qui différencie le super-héros de "Monsieur-tout-le-monde"?

 _ Le costume! Et le fait que "Monsieur-tout-le-monde" n'arrive pas à grimper aux murs...De plus, le super-héros ne peut pas faire des choses ordinaires. Le super-héros c'est de l'extraordinaire qui fait irruption dans l'ordinaire!

   _ Et sa psychologie, en quoi est-elle différente de celle de "Monsieur-tout-le-monde"?

 _ Alors là c'est un petit peu plus compliqué. Tu as une relation quasi schizophrénique. d'un côté le type "normal" et de l'autre le type extraordinaire. Prends Superman. D'un côté tu as Clark Kent, l'archétype du gars plutôt maladroit, plutôt empoté, très gentil, enfin bon... un petit peu couillon... Et de l'autre côté, tu as Superman. Où cela devient compliqué c'est que le masque ici ce n'est pas Superman c'est Clark Kent . Quand Superman, est lui-même, il est Superman. Quand il est un autre... il est Kent, le gars de la campagne monté à la ville. C'est quand même un peu compliqué...

 _ Quel film as-tu préféré sur les super-héros et pourquoi?

 _ Le Batman de 89, le premier de Tim Burton. Avec Michael Keaton et Jack Nicholson. Pourquoi? C'est celui qui traite le plus sérieusement le personnage, et celui qui me semble le plus proche de la BD d'origine. Pour moi ce qui est très intéressant dans ce Batman c'est que le super-héros est incrusté dans la réalité. Je ne sais pas si tu as vu le film, mais c'est curieux, ce n'est pas vraiment un film de super-héros, comme l'est par exemple le Batman de 66, C'est d'abord un film noir, un polar  dans l'esprit de ceux des années 30/40. C'est dans ce milieu-là que Batman surgit.

 _ Il y a Catwoman dans celui-là?

 _ Non. C'est dans "Batman le défi".

 _ Et sa copine dans le premier, c'était qui?

 _ Vicky Vale.

 _ Et c'est important les relations amoureuses pour les super-héros?

 _ C'est très très compliqué! Parce que à chaque instant le super-héros est en train de se demander: "Oui, mais alors si je lui dis que je suis "machin-chose", comment est-ce qu'elle va le prendre? Est-ce que c'est moi qu'elle va aimer ou l'image du super-héros..."

 _ Qu'est-ce qui se passe au moment où tu suis leurs aventures dans ta tête?

 _ Heu... C'est une bonne question... Je ne vais pas chercher mon costume... C'est déjà pas mal... Aujourd'hui c'est de la détente. Quand j'étais jeune c'était certainement quelque chose de plus... la projection était certainement beaucoup plus forte. Qu'est-ce qu'il se passe dans ma tête?... Je ne sais pas... Je ne me pose pas la question. C'est de la détente. Je ne suis pas sûr d'avoir une réponse pertinente. Si tu veux que j'approfondisse...

 _ Oui. Par exemple au niveau de la créativité. Si tu dessine, est-ce qu'ils t'influencent?

 _ J'ai appris à dessiner avec les super-héros. Quand j'étais gosse, j'ai d'abord appris à dessiner avec les super-héros plutôt qu'avec Tintin. J'imitais le style des dessinateur que je préférais, ce genre de choses...

 _ Adhères-tu aux valeurs que les super-héros représentent, et pourquoi?

 _ Globalement non. Quand j'étais petit c'était rassurant, ce monde manichéen. Un côté blanc, un côté noir. Un côté Bien, un côté Mal. Le bien gagne sur le Mal. Tout va bien, le chaos est évité. S'il y avait des super-héros dans le monde réel... ce serait terrifiant. Tu ne peux pas adhérer à leurs manières de faire. C'est un monde qui est extrêmement lié au monde du fantasme.

 _ Quelles relations entretenais-tu avec les super-héros, et quelles sont-elles aujourd'hui?

 _ Les super-héros ça a été une manière d'appréhender le monde adulte, une manière de passer le cap de l'adolescence... et une manière sécurisante de se projeter dans la réalité. Les super-héros ça aident à grandir. Quand j'étais gosse, le super-héros était l'équivalent des peluches. Moi je n'ai jamais eu de peluches, je n'ai jamais aimé les peluches. Par exemple, pour dormir, certains gosses ont besoin de leur peluche, ils la trimballe partout. Moi je trimballais les super-héros partout. Aujourd'hui c'est pour partie la nostalgie mais ce n'est pas que ça. C'est aussi le plaisir de lire une bonne BD, parce que dans les comics il y a de très bonne BD! Quand j'étais gosse, le côté social me passait très haut au-dessus des oreilles.

 _ Et à quel moment ton imagination fait-elle appel aux super-héros?

 _ Tous les soirs de pleine lune quand j'essaie de me transformer en loup-garou et que ça ne marche pas...

 _ Aujourd'hui c'est plutôt une source d'inspiration qu'une échappatoire.

 _ C'est de la détente. C'est vrai que c'est aussi s'échapper dans un monde extraordinaire! Mais ce n'est pas du domaine de fuir le réel.

 _ Pourquoi as-tu besoin des super-héros?

 _ Aujourd'hui pourrais-je vivre sans les super-héros? Je crois que oui. Mais je crois aussi qu'il me manquerait quelque chose dans mon quotidien, parce que j'aime lire des bouquins de super-héros et ils m'accompagnent quand même depuis plus de trente ans!

 _ Beaucoup de reproches sont fait aux super-héros, comme la violence de leurs aventures, la vision manichéenne de leur univers, la propagande par leurs péripéties de l'idéologie capitaliste... Qu'en penses-tu?

 _ Je pense que c'est aussi assez manichéen comme façon de voir les super-héros. Ce que je trouve un petit peu embêtant, mais c'est aussi le genre qui veut ça, C'est effectivement le combat du Bien contre le Mal. Parfois ça peut même être franchement agaçant. Est-ce qu'il y a une idéologie derrière? Oui, bien sûr. L'idéologie de l'Amérique triomphante. Mais ce n'est pas que cela. Le côté capitaliste?... Il est évident que l'industrie des super-héros... Mais bon. Ce n'est pas spécifique aux super-héros. Tintin est une industrie énorme. Et pourtant ici, en Europe, on ne taxe pas Tintin de véhiculer une idéologie capitaliste. Dans les années 40, pendant la seconde guerre mondiale, les super-héros participaient à l'effort de guerre, et il n'y avait pas de mal à ça. Ce genre de reproche, c'est aussi un reproche plus général à la société américaine.  C'est un petit peu énervant à la longue ce snobisme à l'égard des super-héros.  On n'essaie pas d'aller plus loin. C'est s'en tirer à bon compte avec les super-héros.

 _ Y a-t-il une interprétation à donner pour toi sur l'engouement qui touche les super-héros en ce moment, mais aussi les autres personnages issus de la sciences-fiction, comme "le Seigneur des Anneaux", Harry Potter, etc.?

 _ Quand les super-héros sont apparus dans les années 30/40, c'était peu de temps après le Crack économique aux États-Unis, et donc comme on disait tout à l'heure, c'était une époque chaotique, pleine d'inquiétudes, et le super-héros, lui, il rassurait. Je crois qu'aujourd'hui, la société est assez chaotique. On pourrait dire que c'est une société insensée, dans le sens où elle manque de sens. Et le super-héros, dans sa fonction mythique, apporte du sens, il apporte de l'ordre. Il est porteur de valeurs qui, poussées à l'extrême sont un peu inquiétantes. Sa fonction c'est peut-être ça: offrir la vision d'un monde rassurant à une société qui s'inquiète. C'est peut-être pour ça que les super-héros ont du succès ou que des film comme "le Seigneur des Anneaux" marche si fort. C'est rassurant de voir le Bien triomphé du Mal. Le super-héros et sa notoriété actuelle: un signe inquiétant pour notre société?

 _ Est-ce qu'ils méritent, selon toi, de rentrer dans le panthéon des héros tel que Hercule?...

 _ C'est ce qu'ils sont. On pourrait faire un parallèle entre les dieux gréco-romains et le mythe des super-héros. Je crois qu'on est tout à fait... Chez les grecs... Les grecs avaient un rapport immanent à leurs dieux. Et aujourd'hui on a le même rapport avec les super-héros. C'est un parallèle très intéressant je trouve. Les grecs et leurs rapport aux dieux et le rapport que nous, modernes, entretenons avec les super-héros. La question que l'on peut se poser et que certains chercheurs se sont posés à propos des grecs et de leurs dieux est: est-ce que les grecs prenaient leurs dieux au sérieux? Donc, pour reprendre la même question: est-ce que l'homme moderne prend les super-héros au sérieux? La réponse est non. Plus exactement, j'espère que la réponse est non. Parce que si la réponse est oui; alors c'est très inquiétant pour la société.

 _ Pour terminer, pourquoi as-tu dédié un site aux super-héros?

 _ C'est une manière de rendre un petit peu aux super-héros tout ce qu'ils m'ont apporté quand j'étais gosse.

 

( Entretien réalisé à l'Université de Bretagne Occidentale en mars 2004 dans le cadre d'un mémoire de sociologie.)

Pascal Le Bris, avec la complicité de Perrine!

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