Kitshiemon était dans la vallée depuis quatre mois. Et depuis quatre mois le maître l'occupait uniquement à puiser l'eau dans la rivière et à couper le bois nécessaire à la vie de la petite communauté. Heureusement il y avait Ohoshi qui, peu à peu, devint pour le jeune garçon un ami, un confident, un frère. Mais enfin, Kitshiemon avait entrepris ce voyage pour devenir samouraï. S'il n'apprenait pas à se servir d'un sabre; jamais il ne pourrait prétendre à un poste de samouraï! Lorsqu'il s'inquiétait de cela auprès d'Ohoshi, celui-ci lui disait de prendre patience. Patient? Kitshiemon estimait l'être déjà. Quatre mois à puiser l'eau et couper le bois. Un matin il décida de s'ouvrir de ses doutes à son maître. Alors qu'il s'avançait vers ce dernier... _ Ah! Kitshiemon! Tu fais bien de venir. Il faut que nous parlions un peu. Kitshiemon était fort étonné. Sensei Takuenzo avait-il un don pour lire dans le coeur des disciples? _ Viens avec moi, lui dits le maître. _ Où allons-nous, maître? _ Dans la montagne. _ Je suis heureux de parler avec vous et de vous accompagner dans la montagne. _ Cela t'es certainement plus plaisant que de puiser de l'eau ou de couper du bois, n'est-ce pas? _ Oui! Mais c'est important de couper du bois! _ Pourquoi? _ Eh bien, en prévision de l'hiver! Maître... _ Oui? _ Comment puis-je espérer devenir un samouraï si je ne connais pas les techniques du sabre? Quand m'apprendrez-vous à me servir d'un sabre? _ Peut-être jamais. _ Jamais?? Kitshiemon sentit le sol se dérober sous ses pieds. Puis il se ressaisit et parla ainsi: _ Suis-je un disciple si médiocre pour que vous me jugiez indigne de prendre un sabre en main? _ Kitshiemon... _ J'ai coupé le bois, comme vous me l'avez dit. J'ai aussi puisé de l'eau. Et cela depuis quatre mois! _ La patience est bien étrangère à mon jeune disciple. _ Je suis patient, maître. _ Si tu l'étais tu ne voudrais pas devenir samouraï. _ Maître?? Que dites-vous? Que dois-je faire pour que vous m'appreniez? Je veux apprendre pour devenir un grand samouraï. _ Humm... Trop proche du but il est toujours difficile de disposer l'esprit pour la parole qui n'enseigne pas des connaissances certaines, claires, prouvées; mais qui enseigne seulement dans un silence où celui qui y est sait qu'il doit y être. Seul le silence permet la parole. _ Vos paroles sont difficiles à comprendre. _ Peut-être même les estimes-tu obscures? _ Je n'osais vous le dire. _ N'aies pas peur. Tu peux encore dire des sottises. Peut-être est-ce un jour à sottises? _ Pour le sabre... Quand m'apprendrez-vous? _ Kitshiemon, c'est toi-même qui te fermes à son enseignement. _ L'enseignement de qui? _ Eh bien, celui du sabre! _ Le sabre enseigne?? Je ne comprends pas. C'est vous qui enseignez à Ohoshi; pas un sabre! Un sabre ça ne parle pas! Ça coupe! _ Oui, bien sûr, ça coupe... Et tu voudrais posséder des connaissances techniques pour le maniement du sabre? _ Oui! _ Pour apprendre à te servir d'un sabre, je ne te suis d'aucune utilité. Si ton but est de devenir habile dans les technique du sabre, il est mieux de te mettre à la recherche d'un bon sabreur. Tu trouveras rapidement quelqu'un qui appréciera ta compagnie. Avec lui tu apprendra ce que tu veux savoir. _ Vous me chassez? _ Qui veut venir, vient. Qui veut partir, part. Un disciple c'est déjà beaucoup. Deux, peut-être est-ce trop. _ Je voudrai être enseigné comme Ohoshi. _ Comme Ohoshi? Peux-tu m'expliquer? _ Ohoshi pratique le sabre. Je le vois tous les jours. _ C'est cela que tu crois? _ C'est la réalité. _ Non. C'est ton illusion et ta jalousie d'enfant. Tu es ici depuis pas même une année et tu veux déjà... Ohoshi est avec moi depuis onze années. Ohoshi chemine en compagnie du sabre; il ne s'en sert pas. Ohoshi se met à la disposition du sabre. La Voie garde un chemin toujours étrange car il nous est le plus Propre. _ Je ne comprends pas. _ Il est nécessaire de ne pas comprendre, ne te trouble pas. Quand une parole parle étrangement à ton oreille, apprends à ruminer. * Pour aller plus loin dans la lecture du conte. La parole qui n'enseigne pas de connaissance certaines, claires, prouvées; mais qui enseigne seulement dans un silence. Dans cette phrase il est question non du silence en général mais bien d'un silence. Bien que le mortel soit le seul ayant la possibilité de s'installer dans un silence; ce silence lui est toujours en premier perdu. Dans cette étrange contrée qu'est ce silence, le mortel apprend sa situation. Comment accéder à cette contrée? Assit calmement. Aucune transcendance. Aucun dépassement. Aucune fuite vers l'Impropre. Mais bien le plus difficile: être proprement qui nous sommes. Ce n'est que lorsque nous sommes proprement qui nous sommes que nous nous tenons Là avec sérénité. Parole ésotérique? Aucunement. Assit calmement nous laissons. Assit calmement sans vouloir. Laisser sans vouloir. Ohoshi se met à la disposition du sabre. Pour celui qui chemine le sabre n'est pas un objet à disposition. Le sabre enseigne. C'est là son trésor. La place du sabre n'est pas dans les musées mais au côté du mortel. Pascal Le Bris, juin 2006. *************
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